Deux cents cinquante ans plus tard

Ces histoire là prennent place alors que l'humanité subit de lourds dégâts et que les autres races de la Tyrie émergent.

Dépossédés de l'essentiel de leurs terres en l'espace de trois siècles, les Humains sont aujourd'hui assiégés par des rivaux héréditaires mais aussi de nouveaux ennemis. Envers et contre tous, ils se cramponnent à la vie, plus décidés que jamais à défendre leurs enclaves et l'ardeur de l'esprit humain.

Les Asuras, d'une intelligence supérieure, utilisent leur savoir et leurs compétences en matière de magie et d'ingénierie pour affirmer leur dominance naturelle. Les autres races estiment qu'elles doivent régner en vertu de leur puissance et de leur force, mais se bercent d'illusions.

Les Norns mènent une vie rude mais prospère dans leur bastion au cœur des montagnes, se fiant pour survivre à leurs sens aiguisés, à leur vivacité d'esprit et à la force de leurs puissants avant-bras. Ils sont guidés ici-bas par les esprits de la nature, qui incarnent les vertus des animaux les plus redoutables.Chaque jour est pour eux un nouveau défi personnel. Aussi enthousiastes pour boire et festoyer que pour chasser, ils ne craignent que bien peu de choses.

Façonnés par le rêve qui les nourrissait avant leur réveil, les Sylvaris explorent maintenant la Tyrie à la recherche d'aventures et à la découverte de leur place dans ce monde. Ils luttent pour établir un équilibre entre curiosité et sens du devoir, entre ferveur et chevalerie, et entre animosité et sens de l'honneur.

Les puissants Charrs ont survécu à la défaite, à l'oppression et aux affres de la guerre civile. Ils ont revendiqué leurs terres ancestrales à la force des armes et rebâti leurs foyers. Leur redoutable forteresse, la Citadelle Noire, se dresse parmi les vestiges de la cité humaine de Rîn, et leur technologie non magique est la plus puissante de toute la contrée. Mais malgré leurs succès, leur peuple est rongé par la discorde, menacé par la puissance des anciens dragons et les fantômes de leurs propres victoires.

Des Héros commencent à se lever dans chacun des peuples. Ceci est leur histoire.

- « Qui es-tu, quelle est ta lignée ? »

Le norn le dominait d’une ou deux coudées, énorme, massif, puissant. Sa chevelure rousse ébouriffée le grandissait, le rendait plus effrayant, plus féroce encore. Ses compagnons lui parurent plus frêles, mais menaçants au possible. Verkinon dissimula sa peur sous un sourire aimable. Devrait-il fuir une nouvelle fois ?

- « Je suis Verkinon Lynn, et voici ma fille Erminal. Nous venons en paix et ne désirons que passer en territoire chaar. »
- « N’as-tu donc point d’oreille petit homme ? Je t’ai posé la question rituelle : quelle est ta lignée ?

L’homme frémit imperceptiblement, dissimila sa gène et la peur qui l’envahissait, comme toujours. Il se tourna vers son enfant, comme pour le présenter, mais juste pour gagner quelques précieuses secondes de réflexion. Sa fille était jeune encore, à peine sortie de l’enfance. Sa longue chevelure blonde, ses yeux bleus sombres et sa pâleur maladive rappelaient trop sa lointaine ancêtre. Aurait-elle la chance d’échapper à la malédiction ? Pourquoi le bâton l’avait-elle choisie ?

- « Je suis de la lignée des Lynn, dernier descendant d’Isialle Lynn, rôdeuse de l’ère de la guerre des guildes, fille d’Imiria Lynn, et j’apporte le bâton maudit. »

Voilà, c’était dit. Si les norns avaient entendu parler de ses ascendants, s’ils savaient quel rôle l’élémentaliste maudite avait joué dans le réveil des dragons, il ne survivrait pas à leur colère. Il fallait pourtant qu’il tente de trouver le chaman de la prophétie.

Le norn caressa la poignée de sa hache tout en fronçant ses épais sourcils roux. Le nom ne lui était pas inconnu, tout comme cette histoire de bâton maudit. Mais il ne se rappelait pas tant étaient nombreuses les légendes des temps anciens. L’homme lui paraissait désarmé, fragile, bon à tuer comme tous les faibles de sa race. Pourtant, il émanait de son aura une puissance sourde et latente, ancienne et mystérieuse. Il décida de lui laisser sa chance, de lui accorder le passage.

- « Tu peux passer petit homme, et ta bâtarde avec toi. J’espère pour toi que tu n’importuneras pas leurs sorciers et leurs ingénieurs pour rien. »

Verkinon baissa la tête et se hâta, suivi de près par Erminal. La jeune fille passa devant les gigantesques norns la tête haute et soutint leur regard. Elle était petite, même pour une humaine, et pourtant les géants reculèrent inconsciemment, pas par peur, simplement par gène.

Son père trouva une nouvelle fois enfantin, ridicule et dangereux cet air de défi constant qui émanait de l’adolescente. Il ignorait d’où venait sa fierté déplacée, quel gène oublié osait forger son caractère. Peut-être devrait-il lui enlever son fardeau ? Mais en avait-il le pouvoir ? Depuis dix générations le bâton décidait qui prolongeait la lignée des Lynn et qui devait rester sans descendance. Qu’il ait choisi sa fille plutôt qu’un de ses deux fils, une femelle pour la première fois depuis presque 250 ans le consternait. Mais qu’y pouvait-il ?

Erminal esquissa un demi-sourire en dépassant les guerriers géants. Elle serra la soie élimée qui enveloppait l’antique Koosun et eut la diffuse et furtive vision aussitôt oubliée d’un œil de feu, de victoires douloureuses, et d’un chaleureux soutien venant du royaume des morts.

« Elle ne survivra pas ».

Le souvenir de ce verdict hantait Verkinon à chaque fois qu’il voyait sa fille. Il revivait sans cesse le terrible jour du décès de sa bien aimée, de l’accouchement fatal. Pour ses sept ans il avait du organiser une petite fête, une réunion toute simple, premières franches réjouissances, suivant la tradition de la lignée des Lynn.

Quand on lui demandait de quel ancêtre il se réclamait, Verkinon répondait toujours « Isialle Lynn », comme si le déni permettait d’échapper à la destinée, comme si la faute, la déviance de sa puissante ascendante devait être cachée, effacée à tout jamais. Mais quoi qu’il fasse, quoi qu’il pense, quoi qu’il espère, la cérémonie devait avoir lieu un jour. Et ce jour était venu.

« Quand le cadet atteindra ses sept ans, les descendants seront réunis et la lignée choisira sa voie. »

Neuf générations avaient passé depuis les dernières paroles d’Isialle, le jour où d’après les témoins l’acier de ses yeux prit une teinte sombre et profonde.

Sept ans. Sa petite merveille, tant aimée et tant haie à la fois fêtait aujourd’hui ses sept printemps. Elle rejoignit ses deux frères, Arkenon et Restlin. Autant le premier était fort, musclé, en pleine santé, autant le deuxième paraissait malingre, faible, souffreteux. En tant que père, influencé par les multiples nuits d’angoisse et de crainte au chevet de Restlin, Verkinon privilégiait de loin son cadet. Mais échapper à la malédiction des Lynn ne dépendait pas de sa préférence.

« Une seule voie, un seul descendant. »

Durant neuf générations les Lynn avaient vu leur fertilité réduite. Un mâle, toujours un unique mâle avait assuré la lignée depuis la glorieuse Isialle. Quelle que soit l’importance de la fratrie, quelle que soit la largeur des hanches des femmes, quel que soit le mérite la beauté ou la puissance des enfants, tous les descendants étaient frappés de la même malédiction : la stérilité. Sauf un, celui que choisissait le bâton maudit, l’antique Koosun de la mère d’Isialle.

Verkinon osa un regard vers ses quatre frères. Il savait leur profonde tristesse, se rappelait comme si c’était hier leur détresse quand il avait été choisi. Aujourd’hui, l’un de ses fils subirait la même blessure, l’assurance de ne jamais connaître la joie d’enfanter. Il déroula le précieux tissu de soie, dévoila le bâton et cita les antiques paroles.

- « Quand sonnera le septième anniversaire du dernier fruit du premier lit viendra le jour du choix des dragons. »

Il tendit le Koosun à son premier fils, Arkenon, qui s’agenouilla et tendit les mains, plein d’espoir. Mais, au grand et honteux soulagement de son père, la flamme resta noire et morte. Son guerrier de fils étouffa à grand peine un sanglot alors que Verkinon dut se retenir pour cacher sa joie : son fils préféré aurait l’honneur d’enfanter, de perpétuer la lignée. Il se tourna vers Restlin, fragile mage apprenti et croisa son regard sombre et fiévreux.

- « Quand sonnera le septième anniversaire du dernier fruit du premier lit viendra le jour du choix des dragons. »

Restlin s’agenouilla à son tour. Verkinon déposa le bâton entre ses mains et lui adressa un sourire confiant qui dura, dura… puis s’éteignit sous la douche glacée de la surprise et de la stupeur. La flamme du Koosun demeurait noire et froide. Son cadet esquissa une moue à la fois soulagée et incrédule.

Désorienté, Verkinon reprit l’arme dragon et chercha comment se sortir de cette impasse. Toujours, depuis des générations, toujours les dragons avaient choisi celui qui poursuivrait la lignée. C’était la loi, la destinée des Lynn. La prophétie d’Isialle devait s’accomplir. Etait-ce la fin ? Etait-il le dernier ?

Sa fille s’agenouilla. Au fin fond de sa mémoire, revenu d’un inconscient refoulé Verkinon se souvint. Habitués à la transmission par les mâles, ses ancêtres tout comme lui avaient fini par négliger la deuxième partie du rituel. Mais… mais comment était-ce possible ? Il déglutit sans bruit, la gorge sèche, posa le bâton entre les mains de sa cadette puis murmura :

- « Quand sonnera le septième anniversaire du dernier fruit du premier lit viendra le jour du choix des dragons. Et si les dragons ne peuvent choisir, alors reviendra le règne des éléments. »

La flamme du Koosun reprit vie, d’abord avec douceur, puis avec une force, une luminosité aveuglante. Il vit sa fille se lever, porter la relique flamboyante à bout de bras au dessus de sa tète, se raidir, se cambrer en une posture oubliée.

Arkenon recula horrifié. Il ne reconnaissait plus Erminal. Sa petite fille si mignonne, si douce, si câline : son ange devenait démon. Elle esquissa une grimace inconnue, demi-sourire charmeur et cruel. Son regard le glaça. Le bleu acier des Lynn vira au bleu sombre, abyssal, le bleu de l’ancêtre maudite. La fin du règne des dragons était-elle annoncée ? Ou était-ce la fin de la lignée des Lynn ?

Ylia Baksone


(Cette image ne reflète que l'hypothétique histoire du personnage.)


Fenna Jista


(Cette image ne reflète que l'hypothétique histoire du personnage.)